La Sélection Bandcamp #6 Médiathèque de Tassin samedi 24 octobre 2020 Aucun commentaire





A l'heure du second confinement, nous voici de retour avec une nouvelle sélection musicale éclectique... et toujours gratuite ! Bonne écoute !


Kelly Lee Owens "Inner song" (Smaal town Supersound, 2020)

Entre références et audaces, la productrice électro Kelly Lee Owens impose une griffe singulière et pointue dans son second album, "Inner Song", en convoquant aussi bien Radiohead que Jon Hopkins.



Plus possible pour elle de rester cachée derrière ses platines depuis que ses remixes de St Vincent, Four Tet et Bjork ont été encensés par leurs créateurs. Cependant, la galloise ne cesse de justifier ses influences et de s’appuyer sur quelques maîtres, introduisant audacieusement ce nouvel opus par une reprise minimaliste et muette de Radiohead ("Arpeggi"), puis invitant la voix puissante d’un autre écossais, John Cale ("Corner Of My Sky") pour une sorte de bande-son d’anticipation angoissante.


Malgré ces références ogresques qui pourraient lui servir de carte de visite à elles-seules et lui asseoir une belle renommée, Owens ne cède rien à la tentation d’une électro-pop trop facile, et y développe justement sa singularité : un son qui évolue avec aise entre sonorités sèches de la scène berlinoise (Melt !, Night) et les élégies ensorcelées de Jenny Hval (On, L.I.N.E., Night). Car la nouveauté de cet album se situe dans la présence de sa voix, que Owens a décidé d’assumer, et d’en faire un instrument dans la progressivité de ses constructions mélodiques, pour porter le message de ses récentes douleurs, fin d’un amour comme perte de sa grand-mère.

Ce dernier thème lui inspire Jeanette, titre personnel magnifiquement contrasté, entre les gimmicks dansants rappelant la nécessité de continuer de vivre, et la rythmique profonde d’un coeur étouffé de tristesse. Tout l’album est traversé par une grâce infinie dans laquelle on reconnaît le savoir-faire de Jon Hopkins (évident dans Flow) avec lequel elle a aussi collaboré, et dont elle garde le goût des boucles onctueuses. Mêlant dans ses machines ses expériences et ses références, Kelly Lee Owens s’apprête à ouvrir une nouvelle voie vers le cosmos, entre rêve et transe.


Fuzz "III" (Traumton Records, 2019) 

Le symbolisme du chiffre III présent dans toutes les civilisations est souvent associé à la perfection, à l’achèvement, ou à la fécondité car il permet la fusion du 1 et du 2, révélant ainsi son pouvoir quasi magique. Du moins, c’est ce que Indochine a tenté de percer dans nos esprits impressionnables il y a 35 ans avec un album hautement sensuel, érotique et mathématiquement informé, commodément nommé d’après cet idiome. C’est dans ce même esprit que FUZZ choisit de ne point s’encombrer de fioritures visiblement inutiles pour la dénomination de son dernier effort enregistré sous la seigneurie sonore du mythique Steve Albini, réputé pour ses productions brutes et minimales. Intitulé III à juste titre, le groupe revient avec un rock stoner moderne familier qui, contrairement à ses deux sorties précédentes, embrasse désormais pleinement un son de hard rock 60s/70s. Là où auparavant vous pouviez ne faire que des comparaisons, vous pouvez désormais ériger de manière officielle FUZZ sur le podium aux côtés entre autres d’Aerosmith ou Ozzy Osbourne.


Il convient tout de même de noter que le trio composé de Ty Segall à la batterie, du guitariste Charles Moothart et du bassiste Chad Ubovich signe – sans se perdre dans la sémantique – son Returning avec un énoncé direct et positif qui tient la promesse du fuzzzz… Cette ouverture médite sur le pouvoir de la solitude, de l’individualité et donne le ton de l’album en associant un rythme destructeur avec une distorsion écrasante qui gonfle et imprègne la chanson. Ici, les notes grasses et fortes de la guitare de Moothart se nourrissent des bourdonnements et de la batterie agressive du Ty. Ce jeu fort et délibérément bâclé s’accorde bien avec le ton et l’attitude de leur musique brute et lourde. Ainsi, en gardant l’accent sur les sons live du groupe, l’utilisation d’overdubs et de trucs de studio a été réduite au minimum. La maîtrise d’Albini dans la capture du son a donné au trio la capacité de se concentrer entièrement sur le jeu tout en sachant que les sons naturels allaient atterrir.

Sans pour autant réinventer l’eau chaude, Albini mélange de façon subtile la matière sous ses formes solide, liquide et gazeuse pour nous servir Nothing People construit autour de la ligne de basse contagieuse de Chad Ubovich et des coups de langue psychédéliques de Moothart. Ironiquement, le premier single de l’album, Spit, avec son ambiance rock classique ressemble le plus à une chanson de Ty Segall. Sa voix au premier plan semble presque ébranlée tant elle contraste avec le matériau plus sombre et plus lourd de l’album. Dès lors, certaines titres plus longs permettent au groupe de s’étendre dans des jams tentaculaires ‘bluesy’ et centrés sur la guitare dans Time Collapse et des cascades de tierces clairsemées d’un punk phrygien dans End Returning. Après le rétro-glam de sa batterie flambée au début de Mirror, le groupe se lance dans un groove galopant qui ressemble presque à un enregistrement d’Iron Maiden vieilli dans un bain d’acide. Entre des bribes de guitare solo harmonisée et cool, Segall chante le passé, le présent et l’avenir.


Avec III, le trio ne dément pas l’adage du XIIIème siècle ‘Tierce fois c’est droit’ et semble plus revigoré que jamais. Une exclamation anthémique de la confiance en soi où chaque chanson aborde la souveraineté sous un angle différent, amplifiant le message avec des solos de guitare brûlants et des tambours incendiaires de Segall. Une fois de plus, le turbulent californien démontre que son éthique de travail n’a d’égale que l’ampleur de ses influences et la myriade de ses nombreux projets et collaborations parallèles. L’énergie brute des performances et l’interaction entre les musiciens donnent à l’album une grande partie de son poids, son attrait et indique que la pause de cinq ans n’a rien entrepris à la vigueur du trio. A l’heure où l’horizon s’assombrit, on apprécie plus que jamais cette pyramide sonore organique et psychique reproduisant à merveille la sensation de nos tympans soufflés dans la fosse.
 

Potatohead People "Mellow fantasy" (Bastard Jazz, 2020)


Le duo electro-rap canadien poursuit son trip boom-bap en tanguant vers les esthétiques jazz, R&B, soul, funk et house.


Derrière Potatohead People se cachent le Montréalais Nick Wisdom et le Vancouverois AstroLogical, un duo de producteurs, né à Vancouver en 2008, biberonné au son du hip-hop des 90's et désireux de se concentrer sur la création de musique instrumentale avant-gardiste.

Influencé par les beats du légendaire Jay Dee aka J Dilla, le super tandem nous embarque vers de nouvelles contrées dans leur album où il invite notamment la chanteuse de néo soul Clear Mortifee.



Parmi les autres nombreuses collaborations souhaitées par le duo sur l'album Mellow Fantasy, notons celles du rappeur de Lotusland, Kapo ; Illa J ; le rappeur T3, ou encore le vétéran de Vancouver Moka Only. Quant à Posdnuos (du groupe De La Soul, connu pour son influence sur le jazz rap), on le retrouve sur le titre Baby GotWork qui a connu plusieurs moutures avant d’arriver à sa version finale. 


Vite remarqué après leur premier album Big Luxury en 2015 sur le label Bastard Jazz et Nick & Astro’s Guide to the Galaxy en 2018, Potatohead People repart dans une production léchée avec des chants, de belles lignes de basse, des sons de batterie dans le style de JayDee, une progression harmonique captivante.... et un fort désir de nous faire chalouper sur leur mixture hip-hop, jazz, soul et neo-funk.

Solaris Great Confusion "Untried ways" (Mediapop, 2020)



Le groupe d’alt-country nous attire avec son nouvel album "Untried Ways" dans la délicate mélancolie de ses ballades bucoliques.


L'Alsacien Stephan Nieser aka Solaris Great Confusion, ex-guitariste de Buggy ou Original Folks, poursuit sa route en compagnie de la violoncelliste Elise Humbert, l’accordéoniste Yves Béraud, le guitariste Aurel Troesch, la batteur Jérôme Spieldenner, le bassiste Foes Von Ameisedorf et Jacques Speyser aux chœurs. Après une tournée de deux ans avec leur premier album Some are Flies, sorti fin septembre 2016, ils nous prennent par la main pour un traverser les grands espaces américains. Huit compositions du leader, d’une tranquillité apaisante et une reprise du « The Age of Self » de Robert Wyatt.

Inspiré par Fred Neil, Jim O’Rourke, Tim Hardin, Cass McCombs, Howe Gelb, ou encore Bill Callahan, Stephan Nieser est aussi sensible à la poésie de Leonard Cohen ou aux textes de Jacques Brel. Comme précisé dans un communiqué, l’écriture de cet album pourrait faire écho à cette citation d’Henri Matisse :

Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant qui soit, (…) un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui (…) délasse des fatigues physiques.

 

Gus Levy "Magia Magia" (180g, 2020)

Le producteur et multi-instrumentiste de Rio signe un album mystique de pop psychédélique, de samba rock et de groove rêveur enfin disponible en France.


Compositeur et multi-instrumentiste éminent de la scène musicale de Rio de Janeiro, Gus Levy fait partie depuis dix ans du groupe rock, Os Dentes, a mis ses talents de guitariste au service d'artistes comme Antonio Neves, Filipe Marones et João Werneck et a déjà produit plus de dix albums au sein des studios Estúdio Carolina. Repérée par l'excellent label 180g, sa dernière œuvre, Magia Magia, arrive chez nous un an après sa sortie brésilienne. Chic !


Inspiré par une conception de l'univers régi par des entités féminines, Gus Levy orchestre magistralement sa poésie mystique et romantique au gré de ballades sensuelles ou puissantes. Le compositeur y développe un univers musical luxuriant où son chant langoureux se mêle aux choeurs chaleureux et aux envolées de cordes portés par une fusion idéale de pop psychédélique, de samba rock électrique et de groove langoureux. Un amalgame brillant que le chanteur et musicien, ici à la guitare et aux claviers, réalise avec ses complices Marcelo Costa aux percussions, Pedro Dantas à la basse, João Werneck à la guitare, l'ensemble de cordes Quarteto Cais ainsi que Ana Frango Elétrico et Raquel Dimantas aux choeurs.

Nesrine "Nesrine" (ACT, 2020)

Après le succès de son trio NES, la chanteuse et violoncelliste Nesrine Belmokh se réinvente en solo sur "Nesrine", un album entre acoustique et électronique au confins des musiques arabo-andalouses, de la musique classique et du jazz.


En 2018 le trio NES se révélait au monde avec la beauté rêveuse de son album Ahlam, une oeuvre dansant élégamment aux sons de la musique classique et orientale, jazz et pop. Deux ans après la chanteuse et violoncelliste franco-algérienne Nesrine Belmokh s’émancipe en solo sur un premier album simplement nommé Nesrine sur l'excellent label allemand ACT

L'artiste y développe son monde musical sans frontières, déclamant avec douceur sa poésie méditerranéenne aux rythmes d'une musique aussi complexe qu'élégante. Sa voix vous berce et vous envoûte, chantant à l'unisson de son violoncelle aux mille facettes, dansant aux rythmes des percussions de David Gadea et de la basse Swaéli Mbappe comme sur ce premier titre dévoilé Rissala qui signifie "lettre" en arabe. Une chanson qui parle de comprendre le monde, l'amour universel.

Nesrine Belmokh, a grandi à Douai, commencé à chanter et jouer de la mandoline dès son plus jeune âge avant d'étudier le violoncelle et d'intégrer des institutions telles que le East-Western Divan Orchestra de Daniel Barenboim et l’orchestre de l’opéra de Valence (Espagne) dirigé par Lorin Maazel. Elle a travaillé avec le Cirque du Soleil et joué dans un groupe de tango avant de fonder en 2012, à Valencia, en Espagne, le trio NES avec le violoncelliste Matthieu Saglio et le percussionniste David Gadea. Ses délicates chansons en arabe, en français et en anglais éblouissent d'harmonie entre acoustique et électronique, musique classique, nord-africaine, rock ou jazz.

Tunng "Tunng presents... dead club" (Full Time Hobby, 2020)

Le sextet londonien de folktronica revient avec "Tunng presents ... DEAD CLUB" un album concept contemplatif en forme de conversations autour de la mort et du deuil et accompagné d'une série de podcasts.




Après la sortie de leur fantasmagorie subaquatique "Songs You Make at Night" sortie en 2018, Sam Genders, Mike Lindsay et leurs complices ont longtemps discuté de ce qui reste comme un tabou au-delà de tous les autres, la mort. Des conversations autour du chagrin, de la perte, le fait de mourir, l’endroit où nous allons, ce que deviennent ceux qui restent. 

Des réflexions ont amené les membres de Tunng à rencontrer Max Porter auteur de La Douleur porte un costume de plumes (Grief is The Thing with Feathers), qui signe deux titres sur l'album, mais aussi les philosophes Alain De Botton et A.C. Grayling, Max Porter, Derren Brown, la médecin de soins palliatifs Kathryn Mannix, une anthropologue médico-légale ou la musicienne Speech Debelle. De ces rencontres est née une série de podcasts puis l'album concept Tunng presents ... DEAD CLUB sorti sur le label Full Time Hobby.




« Ce n’est pas seulement un disque, c’est une discussion, une série de podcasts, de la poésie, des nouvelles, c’est un examen » explique Mike Lindsay. Evitant l'écueil d'un album trop sombre, Tunng délivre ici une collection de titres contemplatifs avec la richesse sonore de ses compositions de folktronica rêveuse qui s'illuminent parfois vers des mélodies pop festives. Un travail d'orfèvre pour un sujet tabou qui s'est concentré cette fois sur le piano, instrument de l’émotion par excellence. 

Le groupe nous propose en musique une autre vision de ce qui occupe tant de place dans nos vies avec ce voyage sépulcral poétique et universel où s'invitent les innombrables attitudes culturelles à l'égard de la mort à travers Ibrahim Ag Alhabib de Tinariwen parlant des traditions qui entourent la mort chez les Touaregs du Nord-Mali, la méthode de rangement suédoise du « Death Cleaning » ou les références au peuple Wari d’Amazonie brésilienne, qui mange ses morts.

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