"Dark side of the moon" Médiathèque de Tassin jeudi 2 mars 2023 Aucun commentaire



C’est le troisième album le plus vendu au monde. Il offre l'une des expériences sensorielles...
... les plus innovantes de l'histoire musicale. Avec lui, Pink Floyd a repoussé les frontières de la musique savante, en explorant de nouveaux horizons en matière de mise en scène et de technique sonore. Play !

Dans le top 3 des albums les plus vendus de l'histoire

Il s'agit de leur huitième album studio, d’abord sorti aux États-Unis le 1er mars 1973, puis au Royaume-Uni 15 jours plus tard. Le groupe signe l’un des plus grands succès commerciaux de l’histoire de la musique, et bien sûr de leur histoire collective. Il devient l’un des plus grands albums de tous les temps, en troisième place des records de vente derrière "Back in black" de ACDC et "Thriller" de Michael Jackson. Il détient toujours le record du nombre de semaines passées parmi les albums les plus classées du classement Billboard 200 : 970 semaines, soit 18 ans en tout en ce début d’année 2023. Il lui faut moins de deux mois juste après sa sortie en 1973 pour atteindre la première place, qu’il occupe pendant une semaine. Avec des ventes estimées entre 45-50 millions d'exemplaires. Une consécration qui permet au groupe de s'ouvrir au grand public en misant sur une unité sonore révolutionnaire dans ce qu’il faut bien appeler l’un des concept-album les plus aboutis de l’histoire de la musique.


À tel point que la pochette de l’album est devenue emblématique, une icone de la culture populaire, dont toute la classe repose sur sa sobriété graphique, qui représente un spectre de prisme triangulaire à travers lequel la lumière blanche se diffracte. Conçue par Storm Thorgerson de Hipgnosis et dessinée par George Hardie, rien ne pouvait mieux représenter l'esprit philosophique et technique de l'album.

Pink Floyd au sommet de son art



Avec "The Dark Side of the Moon", Pink Floyd révolutionne le paysage musical de son époque. En plus d’offrir un trip sensoriel époustouflant, il livre un véritable bréviaire sonore, un ouvrage de référence pour toutes celles et ceux qui rêvent de dépasser les vieux carcans du rock. Pink Floyd proposait un parfait équilibre entre chansons, musique savante, rock atmosphérique, instrumentation technique à rallonge qui continue aujourd'hui d’envoûter nos oreilles. L'affirmation d'une identité artistique, d'une expérience sensorielle, d'une dimension conceptuelle et philosophique que le groupe avait approchée avec "Meddle", l'album précédent (1971) qui frôlait déjà la perfection esthétiquement (qui occupe toujours une place de choix dans la mémoire auditive des fans). Mais "Dark Side" traduit la synthèse parfaite de leur art.

L'album redonne la place que les solos de guitares ainsi que la voix planante et émotive de David Gilmour méritaient depuis longtemps. Le tout parfaitement mêlé aux nappes de synthé toujours aussi futuristes du claviériste Richard Wright. Tout ce que leurs performances musicales pouvaient avoir d’insuffisant se retrouvaient transcendées par une créativité plus qu’audacieuse. Une maturité musicale qui marque une rupture profonde avec leurs trips psychédéliques hérités de la contre-culture underground des années 1960, inspirés par leur tout premier songwriter Syd Barrett. L'album précédent faisait déjà office d’album-passerelle vers ce rock plus consensuel et populaire, avec son titre spacy de référence "Echoes" long de 23 minutes (l’un des plus grands titres planants et aboutis du groupe avant l'ère Dark Side) : le son et la pulsion du piano-sonar entendu au tout début du titre préfiguraient déjà la montée en puissance exprimée par les battements de cœur qui introduisent "Dark Side".

Un univers sonore à la pointe de la technologie analogique

Le groupe avait toujours pour habitude de concevoir ses titres dans le cadre d’improvisations collectives sur scène avant d’enregistrer en studio. Les morceaux sont minutieusement perfectionnés lors de performances live, d’abord au Rainbow Theater de Londres début 1972. Ils commencent à enregistrer à partir de juin 1972 aux studios EMI (Abbey Road Studios) à Londres. L’enregistrement se fait sur six mois puisque les titres sont continuellement sujets aux modifications, au gré des expérimentations que le groupe mène sur scène.

Les quatre membres du groupe Pink Floyd (de gauche à droite : Nick Mason, David Gilmour, Roger Waters, Richard Wright), 1973 © Getty - Michael Ochs Archives / Intermittent 

L’album offre une qualité de son inégalée, sans que jamais l’espace sonore ne soit surchargé. Techniquement, ils étaient en avance musicalement sur leur temps. Si ça peut paraître paradoxal de le rappeler, ayez bien en tête que l'album est intégralement enregistré en analogique, quelques mois peut-être avant que les tous premiers outils d'enregistrement numérique stéréo n'apparaisse. C'était l'album référence pour les professionnels du son pour tester la qualité des nouvelles stéréo et chaines hi-fi. Le groupe est connu pour avoir utilisé du matériel à la pointe de la technologie analogique de l’époque, du matériel d’enregistrement multipiste, des systèmes d’amplification sonore, des boucles de bande et des synthétiseurs qui leur permettaient de mettre au point des univers sonores et auditifs hors du commun. D’autant que c’est à partir de "Dark Side" que convergent enfin leurs interprétations vocales et leurs longues envolées instrumentales, jusque-là peu assorties.

Lecture par morceaux


Les différents morceaux sont essentiellement pilotés et composés par le bassiste Roger Waters, qui met au point une chronique sinon une critique sévère du monde déshumanisé qui nous entoure. Une profondeur philosophique particulièrement pessimiste dans la manière de questionner les rapports qu’entretiennent les humains avec la vie, l’argent, le temps, l’ambition, le travail, la folie, la mort… Un miroir des différentes étapes de la vie, de la naissance à la mort, une exploration de la nature humaine qui doit raisonner dans les oreilles comme une médiation sonore sur les conséquences des vices de la société moderne sur l’existence. Une tonalité musicale traduite par la dominante noire de la pochette de l’album et le titre très explicite de son album "The Dark Side of the Moon", soit la face cachée de la lune.

Si les morceaux s’imbriquent les uns dans les autres, grâce notamment à la récurrence de certaines structures et boucles harmoniques, tous possèdent leur propre univers marqué par une orchestration et des bruitages singuliers propres à chacun.

Il s'ouvre sur "Speak to Me", qui se résume par les battements de cœur emblématiques produits par la répétition d’un coup de maillet de bois frappé sur une caisse à résonnance, symbolisant la naissance par une longue montée en puissance qui débouche sur une explosion d'adrénaline. Il peut être compris comme le premier souffle de la vie, déjà conditionné par les rires, le bruit omniprésent de la société, les cliquetis d'horloges, les rires maniaques, la caisse enregistreuse juxtaposés ensemble. Le groupe donne le ton en envisageant leur album comme l’incarnation du rythme humain et la matérialité de l’existence signalée par toute une panoplie de bruitages. "Speak to me", c’est aussi ce que les ingénieurs de sons lancent aux artistes en studio pour tester la prise de son avant de commencer à enregistrer.

 


Elle introduit l'album avec "Breathe", dont la composition a été inspirée par le claviériste du groupe Richard Wright. On commence très doucement par un rythme très aérien sublimement bien maîtrisé par l’articulation de la voix et la guitare de David Gilmour (qui utilise pour la version studio, une lap steel Fender duo 1000, un système guitaristique posé à plat qui confère à la musique un caractère planant inédit) avec les boucles de synthé de Wright.

 


La chanson "On the Run", qui n’a pris son titre définitif qu’à la toute fin de l’année 1972 (originellement appelée "The Travel Sequence") signale une course éperdue au temps, une angoisse vis-à-vis de notre finitude, qui débute par un motif rythmique au tempo intensif de plusieurs battements. Le son final n’a absolument rien à avoir avec les premières versions proposées en concert, résultat d’une jam-session (longue improvisation libre) comprenant essentiellement un Riff de guitare (joué de manière répétitive) mais sans aucune structure. C’est grâce à l’acquisition d’un nouveau synthé analogique (VCS3) qu’ils mettent au point un morceau nettement plus électro qui repose essentiellement sur des boucles synthétiques, et qui intègre toute une série d’effets sonores pour faire ressentir davantage un climat anxiogène. Une technique de synthèse et d’oscillation sonore qui permet d’assurer un meilleur tuilage entre chaque titre.

 


"Time" évoque cette même course contre le temps, mais exprimée cette fois par une mélodie bien plus pop et consensuelle. Il s'ouvre sur toute une combinaison subtile de bruitages qui nous transporte comme dans une capsule spatio-temporelle remplie de mélancolie. D’abord des cliquetis d'horloges, des carillons sur 50 secondes comme pour signifier la prise de conscience. À l’origine, les sons d’horloge ont été enregistrés séparément dans un magasin d'antiquités par l’ingénieur du son Alan Parsons. Il les avait laissés de côté pour un autre projet. S’enchaîne alors pendant 1,30 minute une autre combinaison associant des percussions de rototoms, un accord de basse bloqué résonnant comme un bruit de pendule grave, sur lesquels se superposent les notes planantes de guitare magnifiées par la réverbération du synthé qui donnent à cette intro un écho légendaire. David Gilmour signe au passage l’un de ses plus beaux solos depuis "Echoes". Sans oublier sa performance vocale, en parfaite harmonie avec Richard Wright ainsi que le chœur soûl féminin en arrière-fond lors du refrain de la chanson.


 


La première face de l’album se termine sur "The Great Gig in the Sky", dont la forme finale ne ressemble absolument pas à la pièce initiale jouée sur scène, nettement plus psychédélique, qui s’intitulait initialement "Mortality Sequence". Le morceau est dominé par le piano de Wright qui se substitue à l’orgue du premier titre, et vient épouser la voix typiquement soul de Clare Torry. Un ensemble fondu dans une espèce de réverbération sonore qui consacre l’un des titres les plus connus de l’album.

 


La seconde partie du disque débute avec "Money", la chanson la plus connue et vendue de l’album, introduite par le fameux riff de guitare de Gilmour en sept temps. Une chanson aux allures très blues, qui s’en prend au consumérisme ambiant de la société, formulé matériellement par des effets sonores liés à l'argent, les machines à sous. Il s’agit de montrer comment le fonctionnement de notre société alimente notre matérialisme. La cerise sur le gâteau, c’est l’intégration inattendue d’un instrument étranger dans l’historique instrumental du groupe : le fameux solo de saxophone de Dick Parry qui scinde le morceau en deux parties. Sans oublier les trois solos stratosphériques de David Gilmour aux notes de plus en plus hautes, qui requièrent une technique guitaristique qu’il est l’un des seuls à pouvoir maitriser aussi bien, et qu’il illustre sur scène avec une simplicité déconcertante pour tous les amateurs de guitare.

 


"Us and Them" correspond au moment où le matérialisme a divisé les humains entre pauvres et riches. C’est le premier titre de l’album à avoir été enregistré en studio puisqu’il est la reprise d’un ancien morceau ("Violent Sequence") resté dans les cartons depuis 1969. À l’origine, il avait vocation à devenir la bande originale du film "Zabriskie Point" de Michelangelo Antonioni, mais finalement refusée. Le titre repose presque exclusivement sur un solo de piano de Richard Wright, entrecoupé par un solo de saxophone de Dick Parry (beaucoup plus serein cette fois comparé à "Money"), accompagné par une voix plus solennelle de David Gilmour, qui confèrent une ambiance aérienne.

  


"Any Colour You Like" apparaît comme une nouvelle reprise de "Breathe", dont l’accord répété constitue l’ADN sensoriel de cet album, mais qui a la bonne idée d’intégrer un nouveau solo imprévisible et surtout bienvenu au milieu du morceau, aux airs nettement plus funky, qui n’est pas sans faire un petit clin d’œil au titre “Echoes” de l'album Meddle.


 


"Brain Damage" est lui aussi un ancien projet, et c’est à travers ce titre que Pink Floyd traite de manière directe la thématique de la folie, qui n’était pas encore clairement exprimée depuis le début de l’album. La folie qui s’empare sans que nous en ayons conscience, de notre condition humaine. Le seul titre avec "Eclipse" où le groupe convoque, à la toute fin du texte, le concept même de l’album : "I'll see you on the dark side of the moon" ("Je te verrai du côté obscur de la lune"). En plus de faire référence, de manière très implicite, à la détérioration de l’état de santé psychique dont souffrait l'ancien songwriter (et co-fondateur) du groupe, Syd Barrett.


 


L'aventure sonore se termine avec "Eclipse", un final particulièrement triste puisque le concept assume l’idée que c’est bien la face sombre de l’âme humaine qui domine la société même lorsque nous croyons vivre dans l’harmonie sous la face lumineuse du soleil, l’autre penchant reprendrait insidieusement le dessus à chaque fois. Un monde où "tout devient noir". Bref tout sauf un happy ending !


 


[© Jimmy Bourquin in "Dark side of the moon" fête ses 50 ans : histoire de l’album légendaire de Pink Floyd / FranceInter / 27.02.23]





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