Beatbox, Hip-Hop & cie Médiathèque de Tassin mardi 7 juin 2016


A l'occasion de l'atelier beatbox du 22 juin 2016 animé par Faya Braz, nous vous proposons...
... de revenir sur la grande aventure du hip hop en général & du beatbox en particulier.
Le beatbox (ou le "human beatbox", « boîte à rythmes humaine » en anglais) est l’art d’utiliser le corps comme unique instrument de musique : le rythme par la bouche, le nez, les dents, la langue, la gorge, etc.

Il consiste à imiter des instruments en utilisant la voix, principalement les percussions. C'est un chant a cappella qui donne la sensation d'entendre une polyphonie.

Se servir de sa gorge pour créer une pièce musicale est une pratique ancestrale en Asie et en Afrique : les chants diphoniques mongoles par exemple peuvent "bourdonner", imiter la flûte, la guimbarde, etc.

Comparable, le chant de gorge inuit (le "Katajjaq") est une joute vocale, le plus souvent entre femmes, dont la gagnante est celle qui a le dernier souffle :






De la même façon, la "tradition des bols" (née en Inde il y a 600 ans), est à la fois une méthode mnémotechnique utilisée par les percussionnistes et une tradition de percussions vocales (des artistes de jazz-fusion comme Zakir Hussain ou Trilok Gurtu l'utilisent encore régulièrement aujourd'hui).

La musique africaine traditionnelle utilise elle aussi le corps comme matière sonore afin de reproduire des rythmes : l'exemple le plus saisissant est celui des langues dites à "clics" de l'Afrique de l'ouest ou du sud :



Plus récemment, en jazz, le "scat", style vocal dans lequel le chanteur remplace les paroles par des syllabes et des onomatopées, peut également se rapprocher du human beatbox.

On attribue à Armstrong la paternité du scat qui raconte dans son autobiographie : " Lors de la session du 26 février 1926 avec son Hot Five, Louis entame "Heebies Jeebies", fait le clown, et du coup lâche le papier où étaient écrites les paroles. Il doit alors inventer le reste pour finir le chorus".

Cab Calloway ou Ella Fitzgerald sont également d'illustres représentants du scat :




Même si cette forme d'improvisation vocale est proche du beatbox, elle reste essentiellement mélodique et n’est que rarement utilisée à des fins uniquement rythmiques et/ou d’imitation de percussions.





Utiliser la voix humaine comme une boîte à rythmes, tel est le principe de base du "beatbox". 

Cette technique vocale prendra une part non négligeable au sein d'un mouvement qui voit le jour à New York à la fin des années 1970 : le hip hop.

Les quatre piliers principaux de ce mouvement sont le rap, le DJing, le graph (ou graff) et la break dance (danse).

On considère que le human beatbox est le cinquième pilier de cette nouvelle culture émergente.

Block party dans le Bronx, dans les années 1970

Robin Martino revient sur les origines du mouvement (dans son Master 2 de Recherche en Sociologie / Spécialité Art, culture et médiations techniques "Le human beatbox et ses pratiquants", 2008)...

On situe les prémices du mouvement hip-hop aux alentours de l’année 1975 avec l’arrivée sur le devant de la scène de l’artiste issu d’un gang : Afrika Bambaataa. Il commence à faire parler de lui en tant que « Disc Jockey »10 et appelle à la non-violence dans la création. C’est l’idée principale du mouvement qu’il nomme « Zulu Nation », il veut canaliser la rage des jeunes des ghettos pour la convertir en énergie positive et créatrice.

Créativité, innovation et engagement seront les maîtres-mots de ce mouvement né dans les ghettos noirs du South Bronx de New York.

DJ KSlay par Henry Chalfant

Et Robin Martino de confirmer...

On retrouve parfaitement cela dans une pratique musicale née au sein du mouvement hip-hop dans les années 80 et récemment apparue en France : le human beatbox, ou l’art et la manière de produire des sons rythmés avec la bouche. L’usage du corps à des fins techniques, mais surtout artistiques, offre de vastes possibilités qui octroient une dimension vivante à la pratique. Dès lors, jouer de la musique ne semble plus une affaire de matériel onéreux ou de nombreuses années de cours : le beatbox permet de s’exprimer librement dans un nouveau langage, celui des « beats » et des sons en tout genre, avec ses propres « outils », la voix, la gorge, les lèvres…




Selon certains, la pratique du beatbox serait aussi née d'un manque de moyens financiers pour les DJ's et rappeurs à se payer des instruments, dont les célébrissimes boîtes à rythmes électroniques (Roland TR-808).
Le Bronx dans les années 1980.

Ouverte à tous et à tous les âges, le beatbox est effectivement une pratique musicale ludique qui offre la liberté de jouer de la musique partout, n'importe quand et sans la contrainte de la machine. C'est comme siffler, claquer des doigts, etc.


Ils font poum-poum-tchak, preuu, tssss, pff, tick, ts ts ts, ... Les premiers beatboxers reproduisent dans un premier temps le son de la grosse caisse et de la caisse claire, puis de nouvelles techniques sont progressivement développées, comme l’imitation de scratch ou de sample.

Illusionnistes sonores, les beatboxers réinventent avec la bouche le sens et tous les chemins du rythme. Ils ont le rythme dans la bouche, imitent des instruments à la perfection, laissent percuter leurs lèvres l'une contre l'autre, claquent la langue contre le palais... 

Doug E. Fresh pose les premières fondations du beatboxing avec notamment son single "The Original human beat box" de 1984 sur la label Vintertainment.

En compagnie de Slick Rick, il l’annonce déjà : "… You’re about to witness something you’ve never witnessed before …." ("vous allez assister à un truc que vous n’avez jamais entendu jusque là").




Les Fat Boys, quant à eux, sont trois « bons vivants » de Brooklyn, dont Darren Robinson alias « The Human Beat Box ». Il est le premier à laisser entendre, sur leur premier opus éponyme de 1984, des rythmes vocaux basés sur une respiration haletante.

Il s’agit d'abord d’une « blague » ou d’un moyen de se divertir, mais c’est sur ce modèle que d’autres personnes vont commencer à pratiquer le human beatbox.


Avec Doug E. Fresh et les Fat Boys, le label Enjoy Records pose dès cette année les premiers jalons du beatbox avec plusieurs sorties, dont le "Just having fun" de Doug E. Fresh :





En 1986, Biz Markie sort "A One two" et la même année, les Skinny Boys, originaires du Connecticut, sortent "Jock box", produit par Rhonda Bush.

Viennent ensuite quelques titres emblématiques, comme "You can't win" de The Brothers en 1987, puis DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince avec "Rock the house" en 1987, sur lequel on entend Ready Rock C. au beatbox.
 

A la fin des années 1980, les techniques du beatbox se démocratisent et évoluent, avec des artistes comme Run DMC ou KRS One, qui intègrent à leur production cette technique vocale.

Originaire du Queens, le rappeur américain Rahzel M. Brown, alias Rahzel (du groupe The Roots) généralise et enrichit quant à lui dans les années 1990 l'art du human beatbox en chantant en même temps qu'il vocalise les percussions.

Son talent et son rôle de précurseur du beatbox lui ont valu le surnom de « Godfather of Noyze »





En 1999, Rahzel sort l'album "Make the music 2000" (MCA Records) qui inclut la participation d’un autre beatboxer mythique : Kenny Muhammad.

Le disque devient une véritable "bible" pour les beatboxers en définissant des techniques pour certaines inédites à l’époque, comme les quatre éléments.

A la fin de la décennie, le beatbox a évolué à tel point que ses adeptes arrivent à produire parfois plusieurs sons à la fois : on parle alors de multi-vocalisme. Sources d'émulation positive, les "battles" permettent aux beatboxers de se confronter et, souvent, de se surpasser.

Directement inspirées par les "dirty dozens" (les joutes verbales des esclaves qui se provoquaient amicalement ), ces "battles" de beatbox  sont également les lointaines héritières de la tradition de l’improvisation apparue avec le ragtime puis le jazz, et des dialogues musicaux ("call and response").

S'inscrivant dans la tradition de Rahzel, le new-yorkais Kenny Muhammad sera lui aussi l'un des plus grands inventeurs de sons, imposant une technique irréprochable, exerçant son influence au niveau mondiale aujourd'hui encore.

Fort de son statut de figure emblématique de la discipline, Rahzel exporte ensuite sa technique outre-Atlantique avec notamment sa participation à l'album des marseillais de IAM, "L’École du micro d’argent" (Delabel, 1997) avec qui il partira en tournée.

Ces concerts à travers la France feront des émules au sein du courant hip hop hexagonal de l’époque et bon nombre de beatboxers actuels se souviennent du passage du groupe accompagné de Rahzel sur Canal+ :





Avant cela, toujours en France, on peut citer Sheek (membre des « Nec + Ultra »), Salim, FAT et encore Ange B. des Fabulous Trobadors, avec qui il met au point une sorte  « rap occitan ». Entre mots et sons, les toulousains se lancent des duels de tchatches dans lesquels ils deviennent les porte-voix des citoyens du monde.

Le collectif Saïan Supa Crew mettra ses scratchs vocaux et le beatbox à l'honneur avec son album "KLR" (Source, 1999) avec Sly the Mic Buddah, membre du collectif, aujourd'hui encore en activité sous le nom de Sly Johnson. Ce dernier a d'ailleurs accompagné sur disque et en tournée la chanteuse Camille, qui elle aussi, pratique une forme originale de beatbox, ou le jazzman Erik Truffaz.

Une autre figure nationale importante, Eklips, se fera connaître dès 2008 en accompagnant le groupe NTM à l'occasion de sa reformation.

Dans le reste du monde, on peut citer aussi le londonien Beardyman  ou Killa Kella qui officie dans le monde de la musique depuis 2003, et est aussi à l’aise dans des registres hip hop, beatbox, grime ou drum’n'bass.




Autre collectif, les cinq autrichiens de Bauchklang ("Le son du ventre") qui, depuis 1996, créent tous les rythmes, sons et chants en anglais avec leur bouche.

Dans les années 2000, des championnats officiels sont créés et l'australien Joel Turner est le vainqueur du premier championnat du monde en 2005.

L'année suivante, le premier championnat de France a eu lieu en octobre avec pour vainqueur L.O.S en solo et PHM (Marseille) en équipe. 

Le beatbox séduit également des artistes qui ne font pas de hip-hop tels que Camille, Anaïs, Ka Jazz, CocoRosie, Barbatuques, Nosfell, Mesparrow, Laurent Garnier ou Björk qui dans son album "Medúlla" (One Little Indian, 2004) a fait appel à Razhel.

L’actuel champion du monde de beatbox est le grenoblois Alem, sacré en 2015 à Berlin, qui a également remporté le titre par équipe avec le lyonnais BMG.





Jettez une oreille sur la playlist que nous vous avons concocté :






Si à votre tour, vous avez envie de "beatboxer", entraînez-vous avec des tutos créés par des beatboxers ou amusez-vous avec l'excellente l'application BeatBox Maker :






Depuis son essor au début des années 1980, à New York, cette technique musicale si particulière a conquis des générations d’artistes qui ne cessent de la réinventer... découvrez en image l'histoire du beat box avec cet excellent documentaire réalisé par Pascal Tessaud en 2015 : "Beat box, boom bap autour du monde".


Et pour aller plus loin, découvrez l'ensemble de nos disques de hip hop !



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