La Sélection Bandcamp #3 Médiathèque de Tassin vendredi 22 novembre 2019



Troisième épisode de notre sélection avec du jazz britannique, de l'electro norvégienne...

... du highlife ghanéen, de l'electro-pop londonienne, et d'autres (très) bonnes choses encore !
Bonne dégustation :)


.Nilufer Yanya "Miss Universe" (ATO Records, 2019)
L'Anglaise Nilüfer Yanya, du haut de ses 23 ans, vient de publier son premier album qu'elle a sobrement intitulé "Miss Universe". Elle y écrit et chante ses fantasmes, ses échecs, sa paranoïa, pour en faire des chansons de triomphe.
Pour certains auditeurs et certaines auditrices, certaines chansons sont intouchables. C'est-à-dire que la simple idée que quelqu’un en fasse une reprise leur fait lever les yeux au ciel. Et puis, une femme arrive et vous fait redécouvrir cette chanson à laquelle vous tenez tant : en 2016, Nilüfer Yanya, reprenait "Hey", morceau du groupe américain Pixies.
Trois ans plus tard, Nilüfer Yanya publie son premier album. 17 morceaux, tous inédits, qu’elle a rassemblés sous le titre Miss Universe. Ce titre fait sans doute référence à son histoire : Nilüfer Yanya réunit des origines turques, irlandaises et barbadiennes qu’elle résume ainsi : "Je suis londonienne".
Le disque de Nilüfer Yanya est ponctué de petits interludes de voix off. Une façon de pointer toutes les voix mécaniques de notre quotidien : celle du GPS, celle qui nous dit « laisser un message après le bip ». Pour Nilüfer Yanya, Miss Universe, c’est toutes ces voix : Madame Tout-le-monde et Madame Personne. Dans son disque, Miss Universe nous promet le bonheur.
Au bout du compte, si vous n’êtes pas heureux, au bout du compte, eh bien, vous n’aurez qu’à culpabiliser.
En réponse à ces injonctions au bien-être, Nilüfer Yanya écrit ses fantasmes, ses échecs, sa paranoïa et elle en fait des chansons de triomphe. Nilüfer Yanya a 23 ans et une assurance d’un autre âge. Quand beaucoup de disques étouffent sous un flux de paroles à haut débit, elle assume les silences, joue avec, comme avec nos nerfs au beau milieu d’un morceau. Il n’y a que sa guitare saturée pour déborder et hacher son débit.
Nilüfer Yanya publie seulement son premier album. Elle donne la sensation qu’elle n’a rien à prouver et, surtout, qu’elle n’a rien à perdre. Compositrice et autrice elle est et restera.

Altière, caressante, la maîtrise vocale de cette fille lui autorise contorsions et loopings. Pour les genres musicaux qu’elle arpente c’est idem : tout est permis, des expérimentations sonores à la façon de Laurie Anderson jusqu'à la pop entêtante des années 1980. Elle dit :
J’assume que cet album puisse s’éparpiller. J’aime cette idée. Ça apporte une sensation de liberté musicale.

.Lindstrom "On a clear day I..." (Smalltown Supersound, 2019)
On avait quitté Lindstrøm il y a deux années maintenant avec son fédérateur "It’s Alright Between Us As It Is" qui traduisait tout le talent du DJ/producteur norvégien. On le connaissait spécialiste en matière de nu-disco n’en déplaise au porté disparu Todd Terje et bien voici venir Lindstrøm en version drone-ambient sur son nouvel album nommé "On A Clear Day I Can See You Forever".
Voici donc venir 4 longs morceaux dont l’introduction s’étire sur dix longues minutes.
Ici, Lindstrøm nous caresse les tympans avec cette longue symphonie synthétique et ces synthés vintage nous hypnotisent tout au long avec « Really Deep Snow » et « Swing Low Sweet LFO ».

Il ne fait aucun doute que Lindstrøm aime surprendre son auditeur en le faisant planer comme jamais. Le résultat atteint son paroxysme avec la somptueuse conclusion de neuf minutes intitulée « As If No One Is Here » frôlant le new-age et rendant ce On A Clear Day I Can See You Forever un de ses disques pivots et surprenants de sa discographie.

Découvrez les autres disques de Lindstrom disponibles à la MédiaLune

.Howe Gelb "Gathered" (FireRecords, 2019)
Né en Pennsylvanie en 1956, Howe Gelb est sans conteste l'un des personnages phares de la scène indépendante américaine des 35 dernières années. Le chanteur, guitariste, pianiste, parolier est un des compositeurs préférés de PJ Harvey. Il explore les grands espaces au sein de multiples collectifs tels Arizona Amp and Alternator, OP8 ou The Band of Blacky Ranchette et particulièrement Giant Sand, devenu une référence. Quand il ne prête pas sa voix grave et nonchalante à des projets comme Valparaiso, le vétéran du rock indé exprime son romantisme intemporel en solo, au piano ou à la guitare.

Deux ans après son disque "Future standards", le prophète du folk-rock lo-fi est toujours à la recherche d'instants précieux à partager. Pour "Gathered"  il a souhaité rencontrer des artistes qu'il aime, Anna Karina, The Lost Brothers, Gabriel Naim Amor, Kira Skov, JB Meijers et Pieta Brown, chez eux, à Paris, Dublin, Amsterdam, Copenhague, Cordoue. Chez lui, à Tucson, en clind'oeil à Bessie Smith, Edith Piaf et Ella Fitzgerald, il a enregistré avec Talula, sa fille âgée de 15 ans, sa revisite de "Moon River" de Henry Mancini et Johnny Mercer, la chanson du film de Blake Edwards "Breakfast at Tiffany's".

On retient sa belle rencontre à Paris avec l'icône de la Nouvelle Vague Anna Karina avec qui il avait déjà chanté en duo : "Elle est dans l’énergie. Il y a le feu en elle. Anna, c’est une pierre précieuse ", disait-il il y a peu aux Chroniques de Mandor. Cette fois c'est lui qui l'invite à revisiter cette belle chanson d'amour dans une version luxuriante de David Aron-Brunetiére. Mention spéciale aussi pour le duo langoureux d'une tendresse infinie avec la chanteuse et compositrice danoise Kira Skov ( du groupe rock alternatif Kira & the Kindred Spirits) sur le titre Presumptuous. Deux voix éraillées dont la fêlure ne saurait nous laisser insensibles.

Tout au long de  "Gathered", au son impeccable, on craque pour la voix profonde et rugueuse de Howe Gelb, d'une douceur et d'une mélancolie extrêmes. Des arrangements délicieusement sobres mettent en lumière les mots chuchotés et échangés. On sent bien que le baroudeur d'aujourd'hui va à la rencontre de l'essentiel de son chant.


.Korokoko "Korokoko" (Brownswood, 2019)
Issu de l’Orobo, une langue et tribu du Nigéria, le mot "Kokoroko" signifie "soit fort". « Abusey Junction » leur morceau introductif qui a dépassé les 20 millions de vues sur Youtube, a été à la hauteur de leur nom. On ne peut qu’imaginer que Kokoroko, leur premier EP, le sera tout autant. À travers ses quatre titres, le projet souhaite offrir une vision plus élargie de l’univers musical singulier du groupe, chargé de soul et d’afrobeat, puisant son inspiration jusqu’en Afrique de l’Ouest tout en gardant des sonorités résolument londoniennes.
Le groupe, mené par la trompettiste Sheila Maurice-Grey, est composé du fleuron de la scène jazz émergente de la capitale britannique. Il se nourrit aussi bien de l’énergie de la vie nocturne de la ville, des influences musicales des Églises pentecôtiste d’Afrique de l’Ouest, que de références telles que Ebo Taylor, Pat Thomas, Fela Kuti ou encore Tony Allen.
« Abusey Junction » a fait partie, en 2018, de la compilation "We out here" sortie chez Brownswood Recordings, qui documente la vibrante nouvelle scène underground londonienne influencée par le jazz.
Découvrez les autres de la compilation "We out here" disponible à la MédiaLune

.Pat Thomas & Kwashibu Area Band"Obiaa!" (Strut, 2019)
Depuis les années 1960, Pat Thomas fait parti des représentants de la scène highlife ghanéenne aux côtés d’autres poids lourds comme Ebo Taylor et Gyedu-Blay Ambolley et ne compte pas raccrocher les gants. Le musicien ainsi que son Kwashibu Area Band continuent de redorer le blason de l’afrobeat au fur et à mesure que les décennies passent et ils reviennent avec leur nouvel album intitulé "Obiaa!".

Très vite, on embarque sur les terres locales à coup de cuivres incisifs et riffs de guitare funky aux consonances calypso à travers des morceaux entraînants comme « Onfa Nkosi Hwee » en guise d’introduction. On peut en dire autant pour d’autres titres toujours aussi rythmés à l’image de « Atesem » ou bien encore « Odo Ankasa » où Pat Thomas redonne ses lettres de noblesse de la highlife ghanéenne.

Mettant en garde l’arrogance et l’obstination qui nous mène à l’impasse, les messages de Pat Thomas & Kwashibu Area Band (renommé après le quartier de Kwame à Accra) rentrent facilement avec des morceaux dansants et hypnotiques tels que « Obi Nfreno » et « Ntobuase ».
Le gang n’hésite pas à revisiter le morceau « Yamona » tout en avertissant les frimeurs sur les réseaux sociaux sur « Odo Ankasa » ou bien sur la conclusion nommée « Okomfe Bone ». La voix d’or du Ghana n’a toujours pas dit son dernier mot avec ce "Obiaa!" toujours aussi fiévreux et vivifiant.

Découvrez les autres disques de Pat Thomas disponibles à la MédiaLune

.Allah-Las "Lahs" (Mexican Summer, 2019)
Il ne fait aucun doute qu’Allah-Las a réussi à se faire une place sur la scène indie rock américaine. On les avait quitté en 2016 avec leur album "Calico Review" toujours aussi envoûtant avant d’effectuer une mini-pause pour retrouver son inspiration. Après un album solo du guitariste Pedrum Siatadan qui a officié sous le pseudonyme PAINT, le groupe californien prolonge la saison estivale en octobre avec leur nouvelle livraison intitulée "Lahs".

Une fois de plus, Allah-Las nous épate avec ce qu’ils savent faire de mieux. Et c’est avec l’aide du génie Jarvis Tarveniere de Woods aux commandes pour élargir un peu plus leur palette musicale avec des compositions sentant toujours les années 1960 comme le titre introductif nommé « Holding Pattern » qui annonce sans réelle surprise la couleur mais également le guilleret « In The Air » et le gentiment mélancolique « Star ».
La véritable nouveauté est le virage psychédélique qu’entreprend Allah-Las. La fusion entre folk psychédélique et jangle-pop fait effet sur des pièces toujours aussi nostalgiques que sont « Electricity » aux faux airs de bossa nova et « On Our Way ». Mais le groupe californien ne tourne pas le dos à leurs origines surf notamment avec « Light Yearly » et « Polar Onion » qui raviront les fans d’antan face à un panel de nouveautés comme les instrumentaux prenants de « Roco Ono » et de l’hypnotique « Houston ».

La dernière nouveauté est également son côté cosmopolite où des morceaux chantés en espagnol (« Pleasure ») et en portugais (« Prazer Em Te Conhecer ») sont à souligner. Force est de constater qu’Allah-Las a décidé de ne pas tourner en rond même si les vibes ensoleillées de Californie sont toujours mises en avant mais avec une pointe de psychédélisme en prime. Si ils pouvaient sortir un disque pour la saison estivale, ça aurait été mieux.

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.JpegMafia "All my heroes are cornballs" (EQT, 2019)
Cet album est au hip-hop ce que "Centipede HZ" d’Animal Collective est à la musique expérimentale, à savoir une œuvre inclassable à l’esthétisme singulier, bourrée de folie, et dont l’assemblage inouï rappellerait avec passion la maîtrise et les meilleurs faits d’arme de Madlib ou bien encore de Kanye West. Un disque à écouter d’urgence, car il n’en sort que trop rarement comme celui là.