La sélection Bandcamp #11 Médiathèque de Tassin jeudi 14 octobre 2021 Aucun commentaire


Onzième étape de notre sélection éclectique et toujours gratuite, avec cette fois-ci...
 du punk hardcore californien, du art-rock en provenance de New York, du rock australien et du reggae-soul made in  Brooklyn. Bonne écoute !



Tenter de ne jamais trop se répéter, The Bronx s’en fout royalement. Pour preuve, depuis 18 ans maintenant que le gang tient la distance, son punk n’a pas bougé d’un iota, s’est même bonifié avec le temps. Cee sixième album, véritable parpaing pris en pleine tronche avec une volonté délibérée de laisser des traces, vient aussi le rappeler. 



Car au fil des 11 titres de ce Bronx VI, le quatuor – qui compte l’arrivée de Joey Castillo (Queens of the Stone Age, Danzig) derrière les fûts – met les petits plats dans les grands, ne lésine sur rien : ça tape fort (White Shadow, Breaking News), ça racle la gorge (New Lows), les riffs et soli sont plus tranchants et inspirés que jamais (White Shadow, Curb Feelers), et les refrains restent d’une efficacité redoutable (Watering The Well, Peace Pipe) pour ériger un ensemble cohérent. Ici en effet, et c’est une prouesse assez rare pour être soulignée, tous les morceaux se valent, tout en s’accordant chacun leur singularité, peut être trop infime pour les amateurs de montagnes russes.


 


Ainsi, entre le punk midtempo de Peace Pipe et l’agressivité hardcore de Superbloom, The Bronx tire les ficelles d’un heavy rock plus classique (Watering The Well, Participation Trophy), ou laisse transpirer ses inspirations latines en filigrane de Mexican Summer. Fort de sa légendaire spontanéité, le groupe compense ici parfaitement l’adoucissement constaté lors des derniers albums par des guitares à la technique particulièrement affutée, et toujours cette énergie brute et viscérale qui l’habite depuis ses débuts. Au carrefour du punk, du métal et du hardcore qu’elle a délibérément choisi de ne jamais quitter, la bande du charismatique Matt Caughthran continue manifestement de faire appliquer sa loi avec autorité.


David Bowie, Love, Black Sabbath. Nombreux sont les artistes qui ont chanté le changement, pour le meilleur comme pour le pire – mais il est bien entendu que seul le meilleur est ici mentionné. Annika Henderson, Anika quoi, s’empare aussi du sujet sur son second album solo, enregistré à Berlin (où l’artiste britannique est basée) et intitulé Change, comme une injonction à bouger son cul plutôt qu’à constater un misérable état de fait. C’est maintenant, allez !



Après Exploded View, Anika retrouve Martin Thulin pour coproduire l’album et flanquer ce mur du son électronique de quelques notes de basse et de batterie comme sur le titre d’ouverture, Finger Pies. Dense, presque insondable, elle dévoile un disque à la face musicale pénétrante et à l’intention plutôt politique : elle monte au créneau sur Naysayer (‘I don’t want you’), Freedom (‘I’m not being silenced by anyone’) ou le spoken words de Sand Witches (‘I don’t like what you’ve become’). On s’étonnera peu de lire qu’elle fut un temps journaliste politique.



Anika chante avec cette voix caractéristique qui défaillirait presque à certains moments et dont l’écho se répercute sur une rythmique enrichie de petits détails qui font toute la différence, le condiment expérimental qui rend les choses si hypnotiques (Rights). Le magnétisme qui s’en dégage rappelle quelque chose de Nico – serait-ce la frange blonde ou ses airs de grande prêtresse underground ?

Sur un tissu sonore assez sombre et parfois encombré, la voix d’Anika se détache nettement, chantant haut et engagé, elle surplombe à ce point qu’on pourrait imaginer la palette chromatique de Change en noir et blanc. Pourtant, le disque n’est pas dénué d’optimisme, aussi quand elle répète ‘I think we can change’ sur le titre phare de l’album, Change, on se prend à y croire autant qu’elle.




Difficile de comprendre le sens et les intentions de ce El Michels Affair Meets Liam Bailey. Ca ne restera pas l’énigme de l’été, certes, mais on a beau écouter et réécouter Ekundayo Inversions, on ne peut que s’interroger sur ce que Leon Michels a ajouté de plus à l’excellent album que Liam Bailey avait fait paraître un an auparavant sur son label Big Crown.


En 2020, donc, année étrange, Liam Bailey intègre Big Crown, le label de El Michels Affair (Menahan Street Band), et sort Ekundayo (ce qui signifie à peu près ‘la tristesse se change en joie’ en yoruba), un album d’une classe incroyable, oscillant avec clarté et virtuosité entre reggae, dub et RnB, usant d’un minimum d’effets pour un maximum d’efficacité. C’est peu de dire que sa réception fut discrète de ce côté-ci de l’Atlantique.


Est-ce ce problème d’indifférence, ou de timing, ou simplement l’ennui des confinements à répétition, qui a donné envie à l’hyperactif El Michels Affair, son producteur, de s’occuper de rendre le lustre qu’il méritait à cet album ? Avec tout son talent et son goût pour les encorbellements funk et afrobeat, il ajoute à l’aérien Awkward un roulement drum’n bass, des cuivres sur Faded (Paper Tiger), délaye la voix de Bailey régulièrement dans des échos rêveurs, fait appel à des guests de luxe ( Lee Scratch Perry sur Ugly Truth et Black Thought de The Roots sur Conquer and Divide). Le résultat est là : à l’âpreté et l’intimité des émotions de Ekundayo, Leon Michels ajoute de la lumière et de la fluidité… au risque de dénaturer le projet initial.




Au-delà de l’idée de refaire parler de l’album, il est en effet difficile de comprendre l’objectif artistique du producteur. Ekundayo est un album parfaitement équilibré, intègre, qui ne méritait pas qu’on y retouche. Les reprises d’El Michels Affair apparaissent dès lors comme du maquillage, jamais tout à fait justes, jamais évidentes. Et Leon Michels donne l’impression d’un démiurge s’arrogeant des droits sur sa production, s’attribuant à mi-mots la propriété de l’œuvre, dans cet intitulé El Michels Meets Liam Bailey, ni feat, ni remasterisation, reléguant le créateur au rôle de partenaire.



Le geste semble de prime abord assez maladroit, mais le procès du producteur l’est tout autant. On ne peut lui reprocher de défendre à sa manière un album et un artiste de son label, et on notera que la chose est assez courante dans le reggae où l’art de la version est un hommage rendu et la reconnaissance du talent et de la force d’un artiste. Reste que dans ces Ekundayo Inversions, l’implication d’El Michels Affair reste palote au regard du rayonnement de l’album original. Et c’est finalement une bonne chose : méfiez-vous des imitations, et préférez toujours l’original à la copie.





‘Less is more’, et Suuns le prouve une fois de plus. Bien qu’ils ne se soient jamais réellement reposés sur leurs lauriers, il semblerait que le temps soit venu pour les canadiens de sonner l’heure de la métamorphose. Si l’expérimentation sonore a toujours été une ligne de conduite pour la bande de Ben Shemie, et qu’elle a su au fil des années explorer de manière jusqu’au-boutiste son sens du minimalisme, c’est désormais en trio qu’elle entame sa nouvelle mue, une manière de toujours voir plus loin.



Plus doux et subtil que ses prédécesseurs, The Witness met en lumière un groupe plus épanoui, spontané, libéré, et plus en phase avec ses désirs. Composé et pensé comme un tout, voire même comme un seul morceau, ce nouvel album demeurera sans conteste le disque le plus homogène et le plus accessible de la discographie Suuns. Et c’est quasiment en apnée que l’on entame l’écoute de l’incroyable ouverture Third Stream, longue de sept minutes, et sans doute le titre qui résume le mieux cette nouvelle mutation. Exit les motifs répétitifs et les rythmiques invitant à la transe comme ce fut le cas sur les mythiques et rageux Translate et autres 2020. Les batteries lourdes se font désormais plus rares, laissant la place à la suggestion et à la réflexion. Si des morceaux plus classiques dans le pur style Suuns – notamment Witness Protection, Timebender ou encore The Fix – contenteront sûrement les fans de la première heure, le trio étire ici le temps comme jamais, invitant l’auditeur à se fondre dans les méandres d’ambiances vaporeuses, aux influences parfois jazzy, mais sans jamais trop dénaturer sa signature inimitable, ici consolidée par la voix toujours lancinante mais affirmée d’un Ben Shemie plus crooner, comme sur Clarity, véritable gifle et confirmation s’il le fallait de cette nouvelle facette musicale.




Allergique au surplace, Suuns continue son remarquable parcours sans failles, en proposant une œuvre singulière et minutieuse qui n’aurait sans doute pas vu le jour sans les différentes escapades solitaires de son leader et sans quelques morceaux annonciateurs comme le fut Make It Real sur Felt, le précédent abum. The Witness agit comme de la morphine pour apaiser notre âme dans une époque toujours moribonde et remplie d’incertitudes.









Connue pour ses talents vocaux et de songwriting qu'elle mettait au service du groupe art-rock de Chicago, Oshwa, Alicia Walter a déménagé à New York en 2016 avant d'écrire pendant plusieurs années sa première oeuvre solo, I Am Alicia. Une collection de 10 titres comme autant d'aventures musicales expérimentales délivrant un récit autobiographique audacieux sur la découverte de soi : « le voyage d’un héros à travers l’inconscient, conduit par mon désir d’expérimenter qui je suis et ce que je fais de la vie. ».


Un album créatif, produit par Devin Greewood (Sufjan Stevens, Steve Reich, Norah Jones), qui comme nul autre entremêle les époques et les influences musicales allant de l'univers du clubbing new-yorkais au swing-jazz des comédies musicales des 50's, au hip-hop, à la new wave, au disco et à la soul, au jazz-fusion ou au groove comme ce titre Talking To Myself, un pastiche féministe délirant du "Kiss" de Prince.


 

Utilisant un maelström d'arrangements électroniques ou orchestraux, Alicia Walter explore de sa voix quasi cosmique les thèmes de l’attente, de l’identité et de l’égo. L'artiste considère ici comme de nouveaux "personnages" des parties d’elle-même qu’elle a découvertes et rencontrées pendant l'écriture de l'album. Un voyage intérieur devenu flamboyant de créativité comme sur le titre d'ouverture transcendental Prelude sur lequel elle chante à quoi pourrait ressembler la vie sans ces croyances réductrices qui s’accumulent au fil du temps.

« Que cela nous plaise ou non, tout le monde se fait brûler de tant de manières différentes. Vous êtes obligé de changer et de réaliser des choses sur vous-même que vous n'auriez même jamais pensé faire partie de vous », confie Alicia Walter.





L'esprit libre et universel du spiritual-jazz des années 60 et 70 a conquis les scènes jazz actuelles du monde entier, que ce soit aux Etats-Unis avec Kamasi Washington ou Cochemea, à Londres avec le collectif Moisha ou Shabaka Hutchings, en Afrique du Sud avec The Brother Moves On ou The Ancestors, à Melbourne avec Allysha Joy ou en France avec Thomas De Pourquery et ses complices. En Allemagne le quartet Web Web s'est inspiré de cet esprit d'ouverture et de cette spiritualité sur son quatrième album, Web Max, gravé avec le compositeur, musicien et producteur hip-hop Max Herre ainsi qu'une multitude d'invités prestigieux comme le légendaire flûtiste et saxophoniste Yusef Lateff, le maître de l'ethio-jazz Mulatu Astatke, la harpiste Brandee Younger, le trompettiste de 79 ans et fondateur du mythique label jazz Strata-East, Charles Tolliver, Ben Abarbanel-Wolff du groupe The Heliocentrics et bien d'autres.




Le quartet du pianiste Roberto di Gioia fait figure de supergroupe avec la présence des virtuoses de la scène allemande que sont le multi-instrumentiste Tony Lakatos, le bassiste Christian Von Kaphengst et le batteur Peter Gall. En 2014, Gregory Porter invite Roberto Di Gioia et le rappeur-producteur allemand Max Herre. L'idée d'une jam autour du spiritual-jazz fait son chemin et six ans plus tard, l'album Web Max s'apprête à sortir le 27 août sur le label de Munich Compost Records. Enregistré en analogique entre 2018 et 2020 les dix titres de l'album nous plongent dans cette transe jazz aux inspirations d'ailleurs que l'on croyait révolue.




Un jazz aussi subtil qu'intense qui trouve aussi ses racines en Afrique ou en Orient, fait référence à la chanteuse libanaise Fairuz ou au pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim. La musique se fait toujours plus atmosphérique et transcendantale quand la harpiste new-yorkaise Brandee Younger et la flûte alto aux teintes sombres de Tony Lakatos illuminent Satori Ways et réveille les fantômes Dorothy Ashby et Alice Coltrane. Un album qui sonne comme une page d'histoire quand les mots poétiques du grand Yusef Lateff, qui nous a quittés en 2013, résonnent sur Akinuba / The Heart portés par une ligne de basse répétitive. Amoureux du jazz bien avant sa carrière hip-hop, Max Herre contribue à ce voyage cosmique et spirituel avec ses chuchotements en forme de bruissements électroniques et les poussées groovy et minimalistes de son Wurlitzer.




La traversée d’un terrain hostile, et l’activation d’un instinct de survie pour piocher l’essence poétique face à une adversité menaçante. L’extraction de la magie au sein d’un territoire crépusculaire : voilà les impressions premières à l’écoute de "Hey what", treizième LP d’un groupe qui n’en a jamais signé de mauvais, en permanente réinvention, ovni musical qui trace depuis 27 ans sa route au dessus des océans, tout autant en survol qu’à la marge.


"Hey what" continue d’arpenter les sillons creusés par son prédécesseur "Double Negative" : les possibilités proposées par la trituration du son dans ce qu’elles offrent de chaotique et de distordu, de puissance qui engloutit le reste. Ce qui résiste à l’adversité et à l’ensevelissement, c’est la pureté mélodique, en affrontement permanent avec ce magma sonore, dans une dualité qui offre à Low un nouveau terrain d’expression. Une unité étrangement bipolaire qui balaye l’ensemble du spectre sonore et musical, des harmonies en choeur d’une pureté cristalline aux saturations les plus écorchées. Quitte à craindre pour la survie de son équipement audio.




Dès l’introduction de White Horses, la couleur est annoncée : des brouillages sonores dans la continuité de ceux de Double Negative. Mais rapidement le son de guitare au métronome, et les voix – plus mélodieuses que sur le prédécesseur, plus pop également – marquent un changement, comme si les expérimentations de 2018 avaient été digérées et assimilées au reste de la discographie du groupe.

"Hey what" est un album de contrastes maximums. Il y a dans la saturation l’idée de la ramener à ce qu’elle est : une surcharge, un excès à la limite du supportable, un point de non retour qui emporte et balaye tout sur son passage. Quelque chose qui nous dépasse et qui semble aussi dépasser émotionnellement les propres concepteurs de l’album. À l’opposé de cela, les voix de Mimi Parker et Alan Sparhawk amènent une luminosité éblouissante, la lueur de bout du tunnel, si tant est qu’on puisse en sortir. Mais le contraste ne se fait pas ici par alternance ou succession, mais par association simultanée : la lumière cohabite avec les ténèbres.

"Hey what" a quelque chose d’une traversée qui prendrait place sous les décombres d’une ville détruite. Le terrain est miné, bombardé, hanté parfois, mais une pointe de magie vient toujours s’immiscer et s’inviter dans cet univers hostile. C’est pour cette raison que les titres les plus fulgurants de l’album sont ceux ou la dualité est la plus marquée : White Horses donc, mais également Days Like These et ses voix progressivement écrasées par la friture sonore, ses sons synthétiques émergeants en fin de titre, comme s’ils germaient sur un terreau de bruit blanc.



Les deux titres les plus forts de "Hey what" sont les deux conclusifs. More, joyau de deux minutes qui nous fait appuyer sur replay, ses sonorités de guitare uniques et la voix de Mimi Parker aux ritournelles de comptines en fond sonore, sous forme d’un lalala enfantin écrasé par les bitcrushers, incarnation d’une résistance, invitation à danser dans les décombres.

L’album se conclut sur son titre le plus mélodique. BJ Burton, producteur et véritable troisième membre de ce nouveau trio (le bassiste Steve Garrington ayant quitté Low en 2020) y montre toute l’étendue de ses aptitudes. The Price You Pay commence par un duo Parker/Sparhawk à la douceur rassurante au dessus d’une scansion qui devient rapidement vacillante. Le son s’épaissit progressivement en orage, et le magma sonore, plus rythmé sur ce dernier titre par la grosse caisse-caisse claire, vient débarquer avec force tandis que le couple chante I Know It Sounds Absurd. Le potentiel live de ce titre est énorme, étant donné les vertus qu’a le duo de transcender son auditoire en concert, y compris pour transposer les prouesses électroniques de production. "Hey what" se termine sur cette phrase chantée par un Sparhawk au sommet de son intensité lyrique : It Must Be Wearing Off. Cela doit s’estomper. Il est peu probable que l’intensité émotionnelle d’un tel album se dissipe rapidement.






Suite aux éclatants featurings d’Amy Taylor avec des pointures telles que Sleaford Mods, Viagra Boys ou encore Tropical Fuck Storm, on était impatients d’avoir des nouvelles fraiches d’Amyl And The Sniffers. Amy Taylor, c’est d’abord une voix reconnaissable entre mille, à la fois claire, scandée, braillarde et infatigable – une voix de forte tête, ce qui n’empêche pas de déceler un soupçon de vulnérabilité et d’innocence fleur bleue sous la carapace parfois. Quant au personnage de la jeune australienne, il pourrait être vu comme le chainon manquant entre Kathleen Hannah et Iggy Pop, avec en bonus le coffre de Poly Styrene des X-Ray Spex et la gouaille de Dave Vanian des Damned. Un tableau idéal, où finalement le seul hic est que la musique d’Amyl And The Sniffers n’était pas toujours à la hauteur de ce personnage haut en couleurs… Le premier album éponyme des melbourniens, d’abord taillé pour la scène, restait certes sympathique à bien des égards. Mais si ces derniers ont toujours assumé avec une humilité rafraichissante leurs débuts amateurs, ainsi que leurs productions balancées à la va-comme-je-te-pousse (dans le mosh pit), on était peut-être en droit d’attendre un peu mieux vu le potentiel et le charisme de leur attachante leader.




Comfort To Me répond-il à ces attentes ? En partie, oui. Le son s’est affirmé, que ce soit aux guitares ou à la batterie, grâce à un temps de maturation plus long pendant les périodes de confinement et l’expertise du mix livré par Nick Launay. Le travail du producteur d’IDLES, Nick Cave et Anna Calvi permet ainsi à Dec Martens de faire sonner au mieux sa six-cordes, qui alterne sans efforts hooks secs et anguleux boostés à la fuzz ou à l’octaver (voir les intros de Hertz, Don’t Fence Me In ou Choices, quasi post-punk) et courts soli baveux bien rock’n’roll, voire hard rock (Security, Freaks To The Front). Et avec un tel décor derrière elle, Taylor est toute à son aise pour poser des phrasés parfois très originaux, probablement inspirés par sa passion annexe pour le rap. L’hymne d’ouverture Guided By Angels, véritable manifeste sur la passion et l’énergie qui guide Amy dans ses moindres actes, est le meilleur exemple de cette alchimie simple et directe explorée d’un bout à l’autre de ce second album, quelque part entre punk à la Wipers, garage, rare touche binaire early hardcore, et tradition pub rock australienne. Il est toutefois dommage de constater qu’une partie des compositions n’est pas au niveau des réussites cités plus haut. Maggot, Capital ou Laughing s’éparpillent ainsi sur des passages quelque peu dispensables. Don’t Need A Cum (Like You To Love Me) est un court épisode psychobilly qui frôle la parodie et laisse perplexe. Et finalement, mis à part sur quelques titres plus recherchés mélodiquement parlant—tel No More Tears—certains auditeurs risqueront de ressentir une forme de lassitude face à un ensemble qui reste relativement linéaire, en dépit de l’efficacité générale qui se déploie ici.


Amy Taylor, Dec Martens, Bryce Wilson et Gus Romer revendiquent un style sans prétention, on le sait. On pardonnera donc aisément ces quelques défauts. Mais cette bienveillance est surtout possible parce que Taylor arrive le plus souvent à transcender la grammaire basique de ses musiciens en un propos qui ne ressemble qu’à elle. Parfois revendicatives, sur les droits des femmes (Don’t Fence Me In, Choices) ou sur la politique en Australie (Capital), les paroles de Comfort To Me ont souvent aussi le mérite d’éviter les clichés prêchi-prêcha autour de ces thématiques, grâce à une spontanéité et un pragmatisme sans prise de tête qui sont tout à l’honneur du quatuor. 

En atteste par exemple le plus lent Knifey, complainte grunge assez poignante où Amy voudrait pouvoir admirer les étoiles dans un parc sans devoir se protéger d’éventuels agresseurs avec un couteau. ‘I ain’t that tough’, confesse-t-elle, et venant de sa part, on sait que ce n’est pas du misérabilisme, juste un constat lucide sur elle-même et le monde qui l’entoure. De même, le retors et menaçant Snakes est un retour très personnel sur l’enfance de la chanteuse, prenant pour point de départ les serpents qui pullulaient autour de la bicoque où elle a grandi pour filer une métaphore sur les différentes mues qu’elle a traversées depuis. Ce genre de mue, on espère vivement qu’il est aussi en cours musicalement parlant pour les quatre australiens. Parce qu’à l’écoute de certaines des réussites de Comfort To Me, on se dit que le venin qui pourrait un jour sortir de ces mâchoires-là a moyen de devenir encore plus fatal que la morsure laissée par ce disque. Et ce jour-là, bien malin sera celui qui pourra se permettre de faire sa langue de vipère à propos d’Amy et de ses petits camarades.


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