Jerry Lee Lewis Médiathèque de Tassin samedi 29 octobre 2022 Aucun commentaire

 



Jerry Lee Lewis, pianiste au jeu infernal et légende du rock, est mort

Sa légende de toxicomane, de fou d’armes à feu, avait souvent pris le pas sur celle de musicien, d’inventeur. Les deux sont en fait inséparables. Le « Killer », comme il était surnommé, est mort le 28 octobre, à l’âge de 87 ans.


En juillet 1992, Jerry Lee Lewis était monté sur scène à Bercy d’un pas étonnamment alerte. Bo Diddley (1928-2008) venait de jouer n’importe quoi avec le sourire, Chuck Berry (1926-2017) allait s’employer à détruire un peu plus sa légende. Jerry Lee Lewis s’était assis au piano, avait commencé à pomper le rythme de sa main gauche et s’était mis à chanter pendant une demi-heure, passant d’une chanson à l’autre comme dans un rêve, accompagné par de vieux chevaux de retour qu’il entraînait sans jamais leur dire où il allait.
Jerry Lee Lewis à Los Angeles, le 18 juillet 1958. 
Quelques jours plus tard, une dépêche annonçait qu’il avait annulé un concert en Suisse et que, déprimé, il se plaignait de ce que « le public ne [l]’aimai[t] plus ». Pourtant, le seul fait qu’il se trouvât encore quelqu’un pour aller entendre Jerry Lee Lewis était un témoignage de l’amour de son public.


Au cours des ans, le rocker avait accumulé tant de rendez-vous manqués – qu’il ne joue pas ou qu’il joue n’importe quoi – que sa légende de toxicomane, fou d’armes à feu, avait souvent pris le pas sur celle de musicien, d’inventeur. Les deux sont en fait inséparables, leur réunion s’appelle le rock’n’roll. Jerry Lee Lewis est mort le 28 octobre, à l’âge de 87 ans.

Cantiques et blues

Né le 29 septembre 1935 à Ferriday (Louisiane), Jerry Lee Lewis venait d’une famille de petits Blancs, branche pauvre d’une dynastie de colons gallois arrivés dans le Sud au début du XIXe siècle. Son enfance fut partagée entre l’exaltation des offices baptistes et l’atmosphère enfumée des juke joints, les clubs où les Noirs se réunissaient pour écouter du blues.

Malgré la ségrégation, le jeune Jerry Lee Lewis se faufilait hors de la maison en compagnie de son cousin Jimmy Swaggart, qui devait, dans les années 1980, devenir l’un des télévangélistes les plus célèbres des Etats-Unis avant d’être surpris en compagnie d’une prostituée. A l’âge de 15 ans, Jerry Lee Lewis commença ses études de théologie au Southwestern Bible Institute de Waxahachie (Texas). Un an plus tard, il en était exclu.


Jerry Lee Lewis avait appris à jouer du piano, un talent qui lui permettait aussi bien d’accompagner les cantiques que de reprendre les classiques du blues. Sa première apparition publique remonte à 1949. Pour célébrer l’ouverture de la concession Ford de Ferriday, un petit orchestre de country and western avait été engagé. Jerry Lee Lewis les rejoignit sur scène pour jouer une version – inoubliable selon les survivants – de Drinking Wine Spo-Dee-O-Dee, de Stick McGhee (1918-1961).

Il fallut attendre quelques années de tournées dans les bouges du Sud pour que Jerry Lee Lewis, qui avait gagné le surnom de Killer (« tueur »), signe avec Sun, le label de Memphis dirigé par Sam Phillips (1923-2003). C’était en 1956, Elvis Presley (1935-1977) venait de quitter Sun pour RCA, et Phillips lui cherchait un remplaçant. Après quelques sessions en tant que pianiste et un 45-tours résolument country, Jerry Lee Lewis finit par enregistrer Whole Lotta Shakin’Going On. Tout était là, dès le départ : un style de piano d’une violence presque mécanique, un rythme martelé, aux antipodes du funk des pianistes noirs, Fats Domino (1928-2017) ou Little Richard, une voix forte et brutalement sensuelle, qui franchissait allègrement les barrières des sous-entendus.



De rock’n’roll star à bigame incestueux



Pendant dix-huit mois, les succès s’enchaînent – Great Balls of Fire (1957), High School Confidential (1958)… Des chansons d’une force, d’une évidence infernales. On possède un enregistrement d’une conversation entre Lewis et Phillips qui eut lieu lors des sessions de Great Balls of Fire. Evidemment pris de boisson, Jerry Lee Lewis demande à Phillips l’autorisation de ne pas enregistrer le titre, se refusant à faire l’œuvre du diable en chantant du rock’n’roll. Sam Phillips essaie de lui prouver que, lui aussi, Jerry Lee Lewis peut sauver des âmes et le chanteur explose : « Comment le diable pourrait-il sauver des âmes ? »

Tourmenté par l’emprise des forces du mal sur sa réussite matérielle, Jerry Lee Lewis n’en continuait pas moins son ascension. Mais lors de sa première tournée britannique, les tabloïds londoniens apprirent que Jerry Lee Lewis venait de se marier à 22 ans, pour la troisième fois, avec sa cousine germaine âgée de 13 ans, et qu’il n’avait pas pris la peine de divorcer de sa seconde épouse.

Parti des Etats-Unis en rock’n’roll star, le chanteur y rentra en bigame incestueux. La carrière de Jerry Lee Lewis ne se remit jamais de ce scandale. Pourtant, à la fin des années 1960, il enregistra plusieurs albums de country pour Mercury, laissant apparaître sur le mode du remords tous ses péchés de jeunesse. En 1972, il réussit même à remonter au sommet des hit-parades avec une version lascive du Chantilly Lace de Big Bopper (1930-1959).

Jerry Lee Lewis lors du Printemps de Bourges, le 23 avril 1987. 
En 1989, Dennis Quaid incarnait Jerry Lee Lewis dans Great Balls of Fire !, le film de Jim McBride, ce qui suscitait un regain d’intérêt pour sa musique. A cette époque, Polygram ressortait l’intégrale de ses enregistrements pour Mercury. Le film de McBride, imparfait, tentait de faire le lien entre la légende et l’homme, entre l’idole du rock’n’roll et le personnage sorti d’un roman de Jim Thompson. En fait, cette tâche devait revenir à Nick Tosches, son biographe, l’auteur de Hellfire (1982, traduit en 2001 chez Allia), l’un des rares moments de littérature qu’ait suscité le rock’n’roll.


Ces dernières années, on a suivi la trace de Jerry Lee Lewis à la rubrique fait divers. De ses sept épouses, les deux dernières sont mortes de mort violente. Fanatique des armes à feu, il avait tiré au 357 magnum sur son bassiste, Butch Owens, et essayé de pénétrer à Graceland du vivant d’Elvis Presley en forçant le barrage des gardes. Depuis la mort de Presley, Jerry Lee Lewis ne peut terminer un concert sans s’être félicité au moins une fois d’avoir survécu au King. Ce qui est normal pour un tueur.



Dates


  • 29 septembre 1935 Naissance à Ferriday (Louisiane)
  • 1957 « Whole Lotta Shakin’ Going On » et « Great Balls of Fire »
  • 1958 « High School Confidential »
  • 2006 « Last Man Standing »
  • 2022 Mort le 28 octobre, à l’âge de 87 ans

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