"Thriller" a 40 ans ! Médiathèque de Tassin vendredi 2 décembre 2022 Aucun commentaire




Le 30 novembre 1982 sort l’album qui est aujourd’hui le plus vendu de tous les temps.

Un triomphe dont le “King of pop” rêvait après avoir sué sang et eau en studio, épaulé par Bruce Swedien et Quincy Jones. Un enregistrement aussi long que le tournage d’une superproduction hollywoodienne…

Pour parler de l’album Thriller, de Michael Jackson, sorti fin 1982, on est tenté de reprendre une fameuse punchline du rappeur français Lino dans le morceau Jour 2 tonnerre, de son groupe Ärsenik : 

Michael Jackson et Quincy Jones lors de la 26e cérémonie des Grammy Awards ; à Los Angeles, le 28 février 1984.

Bob Riha Jr / Getty Images



« Qu’est-ce que je pourrais te dire qui n’a pas encore été dit ? Rien d’inédit. » Effectivement, cet album est sûrement l’un des plus commentés, analysés, disséqués de l’histoire de la musique contemporaine. Outre sa qualité artistique indéniable et pérenne quarante ans après sa sortie, il détient un privilège unique, celui d’être l’album le plus vendu de tous les temps, avec un nombre d’exemplaires variant, selon les sources, de 66 à 100 millions d’exemplaires, devançant ainsi "Back in Black", de AC/DC (50 millions), "The Dark Side of the Moon", de Pink Floyd (49 millions), la BO de "Bodyguard" (45 millions), "Bat Out of Hell", de Meat Loaf (43 millions), et "Their Greatest Hits" (1971-1975), des Eagles (43 millions), ce dernier ayant été présenté de façon erronée dans certains articles récents comme le remplaçant de Thriller au sommet des ventes mondiales, alors qu’il a juste dépassé le chef-d’œuvre de Michael Jackson sur le territoire américain en 2018 (c’est toutefois, il faut rendre à César…, la compilation la plus vendue au monde).

Un extrait du clip de “Thriller”, réalisé par John Landis en 1983.

Optimum Production



Resituons déjà le décor : au moment où le chanteur commence à travailler sur cet album, il a déjà entamé une fructueuse collaboration avec Quincy Jones, rencontré sur le tournage de la comédie musicale The Wiz, de Sidney Lumet, remake du Magicien d’Oz, dans lequel le kid des Jackson 5 incarnait l’épouvantail aux côtés de Diana Ross, qui reprenait le rôle de Judy Garland. Le premier résultat de leur travail commun est Off the Wall, sorti en 1979, qui marque le vrai démarrage solo de Michael Jackson, loin des albums jadis sortis sous son nom chez Motown, formatés par le label, qui ne demandait pas son avis artistique au futur King of pop. Cet album inaugural de ce que l’on appellera la « trilogie immaculée » (Off the Wall, Thriller, Bad) connaît un succès important et rapporte à son auteur un Grammy Award. Loin de s’en satisfaire, le jeune artiste se plaint auprès de « Q », qui tente de le rassurer en lui disant que c’est déjà énorme. Mais le chanteur de lui rétorquer : « La prochaine fois, je les aurai tous. » Mégalomanie ? Un peu, mais aussi lucidité au regard de la suite des événements, puisque Michael Jackson réussira à accomplir ce rêve d’enfant gâté.

Un condensé de pop moderne


L’autre architecte de Thriller, moins connu mais tout aussi fondamental, est l’ingénieur du son Bruce Swedien. Lui aussi a travaillé avec Q en 1977 sur le film The Wiz et y a rencontré Michael, alors âgé de 19 ans. « Si quelqu’un m’avait dit à l’époque que j’allais travailler avec lui pendant plus de vingt-cinq ans, battant tous les records et raflant tous les awards possibles, je n’y aurais pas cru », raconte-t-il en 2007 lors de la ressortie de Thriller pour son 25ᵉ anniversaire. Fun fact : il existe deux albums intitulés Thriller sortis avant celui de Michael Jackson. Le premier est un disque de funk signé Cold Blood, en 1973, l’autre est le troisième album du groupe pub rock-punk anglais Eddie & The Hot Rods, en 1979.

“Bruce, c’est parfait, mais rajoute-moi juste un peu de basse et fais un autre mix, s’il te plaît.”

Pour Bruce Swedien, le son de Billie Jean, l’un des singles les plus emblématiques de la pop moderne, est l’exemple parfait de ce qu’il appelle la « personnalité sonique ». De l’enregistrement des drums de Ndugu Chancler, batteur de génie, au mix épique, « Svensk » (son surnom) a contribué à transformer une démo pleine de potentiel en un classique : « Je ne crois pas qu’il existe beaucoup d’enregistrements où l’écoute des premiers drum beats permet d’identifier immédiatement le morceau », explique-t-il. La meilleure anecdote concernant l’enregistrement de ce titre est liée à son mixage : alors que Michael, Quincy, Bruce et Rod Temperton (auteur-compositeur de trois titres de l’album, Baby Be Mine, Thriller et The Lady in My Life) écoutent le mix numéro 2, ils sont tous emballés. Mais Jackson fait signe à Swedien de sortir de la « control room » du studio Westlake Recording, puis lui murmure à l’oreille : « Bruce, c’est parfait, mais rajoute-moi juste un peu de basse et fais un autre mix, s’il te plaît. »




Swedien retourne dans le studio, et cette fois c’est Quincy Jones qui lui glisse : « Ajoute un brin de sel au snare et au kick [grosse caisse et caisse claire]. Juste un peu ! » De fil en aiguille, les mix s’accumulent : dix, puis vingt, puis trente… « Ça a duré une semaine, on en était au 91ᵉe mix ! Et là, Quincy me dit : “Tu sais, Svensk, juste pour le fun, tu pourrais nous faire écouter les premiers mix ?” Mon cœur a battu la chamade car je savais que les premiers mix c’était de la dynamite. On a réécouté le mix numéro 2, une bombe, tout le monde dansait dans le studio. Ça a été la décision finale, et c’est ce deuxième mix que vous entendez sur le disque. » On pourrait penser que cette accumulation de mix est un caprice de star, mais ce processus invraisemblable fait partie de la conception d’un album « parfait », et il est donc justifié par le résultat. C’était une autre époque, désormais révolue, où l’enregistrement d’un album majeur prenait parfois aussi longtemps que le tournage d’une superproduction hollywoodienne.





Il a fallu que la maison de disques arrache littéralement les bandes au gang jacksonien pour le sortir avant la fin de l’année 1982, la date limite fixée pour la sortie de Thriller. Sans la fermeté d’Epic Records, on imagine que le trio de perfectionnistes acharnés qu’étaient Jackson, Jones et Swedien aurait encore passé des mois et des centaines de mix sur ces neuf chansons. On y trouve un condensé de tout ce qui fait la pop moderne, de la soul au rock, en passant par les ballades et même un « rap », guillemets obligatoires car la prestation de Vincent Price, génial acteur iconique de films d’horreur, assure plus un talk-over qu’une performance de MC sur la chanson Thriller. On notera d’ailleurs que, contrairement à ce qui a souvent été écrit, ce n’était pas la première prestation de Vincent Price sur un album de rock : il a délivré un texte génial en 1975 sur l’album d’Alice Cooper "Welcome to My Nightmare", où son prologue sanglant à la chanson "The Black Widow" est un petit chef-d’œuvre.




La sortie de l’album, le 30 novembre 1982, est un triomphe. Il gagne huit Grammy Awards et de multiples autres récompenses prestigieuses. La critique est unanime, célébrant un disque d’exception, qui va générer sept singles classés dans le top 10. Un record qui sera battu six ans plus tard… par Michael Jackson lui-même, avec son album Bad. Pour lui, l’adversaire principal a toujours été le « man in the mirror ».

[© Olivier Cachin in Télérama "Thriller”, de Michael Jackson, un enregistrement hors norme"]
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